Interventions de Pauline Vermeren et Jean Waddimir Gustinvil dans un colloque international à Haïti

vendredi 17 février 2012
Par Anders Fjeld
Catégorie : Articles et interventions



Pauline Vermeren et Jean Waddimir Gustinvil interviendront dans le colloque international "L’ethnologie et la construction de la nation politique, du peuple, du citoyen en Haïti" du 15 au 18 février à Port-au-Prince.
Leurs interventions auront lieu vendredi le 17 février à 14h lors de la troisième session du jour : Entre l’implication et l’application du savoir ethnologique.

Pauline Vermeren, L’ethnologie comme déplacement du regard : identité et existence à l‟épreuve de l‟idéologie de « race » en Haïti

Jean Waddimir Gustinvil, Du « savoir » de l’Autre à la construction de soi : les enjeux du « savoir » dans la construction de l’Etat haïtien

Le site internet du colloque : http://lettre.ueh.edu.ht/index.php?option=com_content&task=view&id=249&Itemid=1
Le livret du colloque : http://lettre.ueh.edu.ht/pdf/Livret_colloque_ethnologie.pdf

Voici les résumés des présentations :

Pauline Vermeren :
Du mouvement de réhabilitation de la « race noire » au noirisme, je propose de considérer le dynamisme existentiel d‟une « condition nègre/noire » en Haïti et la circulation transatlantique de cette question entre la France et la Caraïbe dans les années 1940 et au moment de la création du parti communiste haïtien. En fait, je souhaiterais mettre en relation la construction d‟une « question noire » et d‟un « être nègre/Noir » en France avec l‟implication des Haïtiens et de leur héritage historique, anthropologique et littéraire. Je considère les années 40 comme un basculement dans les représentations entre « Noirs » et « Blancs », pensé par une présence d‟intellectuels français (Césaire, Leiris, Breton, Sartre) en Haïti, et à travers l‟élaboration d‟une phénoménologie du regard comme fonction sociale et comme interrogation sur des identités situées. En quoi alors le préjugé de couleur -questionnement transatlantique-, affecta-t-il l‟étude ethnologique de la société haïtienne comme possibilité politique à construire une nation ?

Jean Waddimir Gustinvil :
La question du savoir dans la création de l‟État haïtien est au coeur des controverses dans les sciences sociales et humaines. Elle (cette controverse) peut être regroupée en trois grandes thèses. La première est celle qui explique l‟échec d‟Haïti par le conflit entre deux projets de société : celui des bossales et celui des créoles. Le triomphe du projet créole au lendemain de l’indépendance haïtienne va consacrer désormais la double logique qui régit la nouvelle société : celle de la République de Port-au-Prince par opposition au pays en dehors. Ainsi, l‟État, tel qu’il est émergé au lendemain de 1804 serait l‟aboutissement de ce projet, celui des créoles qui est la reproduction du modèle colonial. La seconde thèse voit dans l‟État haïtien un vestige du système colonial. L‟origine coloniale de l‟État haïtien serait la clé d‟explication de la nouvelle Haïti. La « corruption » qui bat son plein dans la société haïtienne en général et dans l‟administration publique en particulier n‟est que la continuité l‟ancienne administration coloniale. Ce qui fait de cet État, un État marron (1). Celui-ci détient un „‟savoir faire‟‟, „‟un imaginaire‟‟ dont le passé colonial serait le sésame pour sa compréhension. Haïti serait la fille légitime de saint Saint-Domingue. Dans ce cas : Qu‟est-ce que c‟est que Saint-Domingue dans sa vérité radicale ? Elle est le nom d‟un ’’vice moral’’, celui du goût démesuré de l‟argent, celui du souci d‟enrichissement vite au mépris de toute valeur éthique. « L’économie saint dominguoise érigée sur une absence totale de morale continuera en Haïti sur le même principe de base. Le refus de reconnaitre à l’homme noir ses droits imprescriptibles »(2). D‟après la troisième et la dernière thèse : L‟État haïtien serait un enfant bâtard de l‟État colonial. Il est né sans disposer les moyens de sa politique. Si l‟État européen s‟est constitué suivant un triangle composé : d‟une part, du prince, d‟autre part, celui de la science, et pour finir, avec une bourgeoisie, il en est autrement pour Haïti. L‟interaction entre les trois-la science, prince et le marchand, - c’est ce qui donne naissance à ce que l‟on va appeler l‟État moderne. Or, selon le tenant de cette thèse, Haïti serait le fruit d‟une amputation de l‟un des côtés du triangle. Donc, ce qui a engendré cet Etat ou dépouillé de toute „‟science‟‟.

L‟une des constantes de cette controverse entre les différentes thèses est le mythe du modèle ‘’colonial unifié’’. Il y a le „‟modèle colonial‟‟ tout comme, il en existerait un „‟savoir colonial‟‟, comme le couple „‟savoir pouvoir‟‟ qui structurerait le mode-d-être-ensemble des haïtiens. Chez Gérard Barthélémy, ce modèle colonial correspond à celui d‟un savoir faire dont les Créoles seraient les dépositaires légitimes. En ce sens, il y aurait deux régimes de savoirs en conflits : celui des Créoles obsédé par le modèle du maitre, la grande propriété, et celui des nouveaux libres, des Bossales, la petite propriété. Le travail de Barthélemy est très important en ce sens qu‟il permet de saisir l‟une des contradictions majeures qui traversent la société haïtienne post-révolutionnaire : l’Illusion-de- la-science-révolutionnaire (3). Une „‟science‟‟ dont les nouveaux dirigeants d‟Haïti prétendent être les détenteurs légitimes via leur proximité aux anciens maitres. Or, la « science coloniale » n‟a été qu‟un moyen de domination pour les colons. Elle deviendra avec les nouveaux dirigeants instruments de mystification de la masse des nouveaux libres. Á suivre l‟argumentaire des différentes thèses : ce qui manque c‟est la dimension coloniales de la dite ’’science’’. Elle est négligée au profit de sa vertu „‟universelle‟‟(4). Tout se passe comme si le savoir dont le projet de la colonisation se trouve porteur est exempté de tout soupçon. Alors que, la dite « science n‟est pas une discipline unique, elle a recours à des textes dont les méthodes lui échappent – ni a une véritable doctrine –elle n‟a pas de même de constance proclamée, en un point de l‟espace et du temps » (4). Le caractère non scientifique de la dite „‟science coloniale‟‟ est attesté selon Dubreuil par le caractère hétérogène des pratiques discursives hétérogènes à l‟oeuvre dans la colonie qui constitue ce que l‟auteur appelle une « interzone » (5). L‟Illusion du savoir légitime n‟est pas le propre des révolutionnaires haïtiens. C‟est une constante de toute société post-révolutionnaire. Autrement dit, ce qui est à l‟oeuvre dans les sociétés dites « post », comme Haïti, ne constitue pas une nouveauté. De ce fait, ne faudrait-il renverser la question de l‟État, au lieu de faire Haïti une exception, ne serait-il pas plus juste de voir dans l‟État haïtien l‟expression du mal originaire qui en entache l‟institution étatique. Autrement dit, la colonialité serait le nom propre de tout État.













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